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I) L'ALGORITHME DE TINDER CONTRIBUE À L'ENDOGAMIE DE LA RENCONTRE

DU PRINCE CHARMANT AU MATCH TINDER






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L’endogamie consiste à choisir son partenaire dans son groupe social, géographique, professionnel ou religieux. Nous verrons dans un premier temps que les individus peuvent, consciemment ou non, se saisir des outils numériques offerts par Tinder pour sélectionner socialement leur partenaire. Tinder joue également un rôle d’intermédiaire d’appariement entre les profils qui renforce cette sélection, mais cette fois à l’insu des utilisateurs.


A- LE RÔLE DES PRATIQUES NUMÉRIQUES DES UTILISATEURS DE TINDER DANS LA SÉLECTION SOCIALE

Dans un premier temps, nous remarquons que les usagers saisissent consciemment ou non les outils offerts par Tinder pour sélectionner socialement leur partenaire. Les applications de rencontres opèrent un renversement du scénario de la rencontre : désormais la rencontre physique ne vient que dans un second temps. Les premières impressions se fondent alors sur le profil dont l’appréciation varie socialement. Sur l’application même, plusieurs critères classent socialement les individus : photos, lieu de résidence, passions renseignées, métier, niveau d’étude et âge. Globalement, les individus ont tendance à s’orienter vers des profils de leur âge et la localisation les met en contact avec des individus proches d’eux, puisque l’objectif affiché par Tinder est de briser la solitude par la rencontre réelle comme finalité. Le jugement de goût porte d’abord sur le physique et la photo. Un enquêté dont les parents sont cadres confie ainsi porter une attention importante à la photo en elle-même et à l’orthographe comme marqueurs sociaux :

« Je m’intéresse à 60% au physique et 40% à la description. Si une fille me plaît, mais que sa description ne me correspond pas, ou si son orthographe est trop chaotique, je ne swipe pas. Idem pour les photos, les photos miroir me dérangent. En réalité, je ne vais que vers des gens qui me ressemblent physiquement, autant dans les études, que les poses ou les habits. »

Les utilisateurs cherchent des points communs avec leurs matchs pour ensuite avoir l’assurance que la conversation sera intéressante.

Une enquêtée explique chercher « quelqu’un qui travaillerait. Je préfère avoir quelqu’un qui accorde de l’importance à son parcours, qui pourrait comprendre mon mode de vie actuel ». Elle ajoute « Il y a aussi le fait de ne pas faire d’études ou d’être au chômage, pour moi cela veut dire que tu es forcément dépendant de tes parents et c’est éloigné de ce que je suis... ».

Ainsi, les utilisateurs s’orientent souvent vers des individus au même niveau d’étude. Signe révélateur dans nos observations, si beaucoup de nos matchs sont de milieux sociaux objectivement très favorisés (médecins de profession, étudiants à Sciences Po aussi…), les autres n'indiquent pas leur niveau d’étude. Cela signifie qu’au-delà des mécanismes de mise en relation algorithmiques, il y a une intériorisation par les hommes de l’importance des études pour plaire, comme dans une rencontre hors-ligne classique, voire un peu « archaïque(s) ».


B- LE RÔLE DES ALGORITHMES DANS LA SÉLECTION SOCIALE SUR TINDER

Les algorithmes de Tinder utilisent trois types d’inputs qui favorisent l’endogamie des rencontres : les similitudes entre les profils, leur niveau de désirabilité et leur géolocalisation.

Dans son ouvrage L’amour sous algorithme (2019), Judith Duportail écrit : « En exploitant mes données pour déterminer qui je vais voir, Tinder décide pour moi qui je peux rencontrer, toucher, aimer, c’est un pouvoir immense sur moi, sur ma vie, sur mon corps ». Elle y explicite le fonctionnement des algorithmes Tinder et l’Elo score. Il s’agit d’un « score de désirabilité », fondé sur une comparaison des profils likés avec ceux aussi likés par d’autres individus. On peut penser qu’un like d’un profil à forte attractivité vaut plus qu’un like issu d’un profil moins attractif. Ensuite, les profils au score similaire sont mis en relation : on ne fait pas se rencontrer n’importe qui ! Impossible de savoir sur quels critères se fondent ce score. En revanche, l’application affirme : « ce qui fait vraiment la différence pour améliorer tes chances de matcher sur Tinder, c’est d’utiliser l’appli ». D’après ce communiqué, les profils actifs et complets auraient la priorité afin de ne pas faire « perdre de temps avec des personnes inactives » et l’entreprise insiste sur l’absence de critères stéréotypés. L’observation nous l’a confirmée : après une pause de trois jours sans appli, l’application propose de plus en plus de profils incomplets, sans photos et à la biographie très succincte, voire absente.

Outre cette hiérarchisation des profils plus ou moins attractifs, il est à noter que l’on ne matche pas avec qui l’on veut mais avec des individus choisis pour nous. Une impression désagréable selon Judith Duportail : « J'ai trouvé ça terrifiant, en fait, on est manipulés comme des Sim's ». L’algorithme de Tinder se fonde sur une étude des photos, biographie et autres données partagées afin de trouver des points communs entre deux profils et favoriser un match. Vous vous affichez avec une guitare dans les bras ? Vous serez classé dans la catégorie « artiste » et donc susceptible de rencontrer un fan de musique qui a transmis ses données Spotify. Une photo de vous sur un vélo et on vous présentera plutôt des profils de « sportifs ».

À cette sélection par les algorithmes s’ajoute le rôle incontournable de la géolocalisation. Toutes les applications de rencontres utilisées l’emploient et certaines comme Tinder ne fonctionnent que par elle (il faut activer sa géolocalisation pour pouvoir utiliser l’application). On séduit oui, mais dans son quartier, dans un rayon plus ou moins important. Cet outil s’inscrit dans une volonté de ces applications de permettre des relations durables et donc de proximité ; chacun connaît la difficulté et l’instabilité des relations à distance. De plus, proximité rime avec affinité : « souvent, les gens qui habitent le même quartier se ressemblent » note Sean Rad, fondateur de Tinder. La rencontre est ainsi facilitée. Cette géolocalisation n’est pas contraignante : si un utilisateur a déjà passé tous les profils que l’algorithme juge bon de lui proposer dans les alentours, alors un message lui propose simplement d’élargir son champ géographique de recherches, y compris à l’étranger.

Dans les 33 matchs reçus par le profil de Mia 1, 2 des hommes étaient plus vieux de 30 ans que Mia (qui elle a 22 ans). Ces 2 hommes faisaient également partie des 24 messages envoyés à l’initiative de l’homme. Plusieurs messages ont directement été très entreprenants et explicites, de la frustration apparaissant rapidement puisque nous ne répondions pas aux messages.



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