Le militantisme écologique en ligne

Caratéristiques et contradictions


Intro

“Tout le monde connaît Ecosia”. Voilà l'a priori simple duquel 4 étudiantes à Sciences Po sont parties pour leur exploration numérique. Nous sommes toutes les quatre concernées par l’environnement, toutes les quatres conscientes du paradoxe entre communication pour lutter contre le réchauffement climatique et utilisation de ces plateformes très polluantes.
Pourquoi est-ce important de parler d’écologie aujourd’hui ? Le réchauffement climatique est un enjeu mondial contemporain. Il touche tous les Etats et les populations et la prise de conscience de la menace est de plus en plus prégnante. A cet effet, il s’agit ici de se demander comment Internet, outil majeur dans notre quotidien, peut s’imposer comme un moteur de solutions. Il est ainsi intéressant de comprendre comment le corps social se saisit de cet instrument pour servir la cause climatique.
Au début nous avons cherché des moyens de prouver ou non l’efficacité ou la réelle émission carbone des sites se revendiquant éco-citoyens comme Ecosia. En effet nous nous en servons toutes, mais certaines s’en méfient (comme Aurélie) et sont même allées jusqu’à le désinstaller. Rapidement nous nous sommes rendues compte de l’ampleur de la tâche et de la pertinence relative de l’étude que nous aurions pu mener. Après mûre réflexion, c’est une approche beaucoup plus pragmatique que nous avons choisi d’adopter.
Nous avons finalement ciblé notre recherche particulièrement sur le militantisme écologique, donc le fait que les individus s’engagent pour la cause du réchauffement climatique et de la protection de l’environnement. Notre but est d’analyser quel rôle peut avoir le numérique et Internet dans cet engagement militant.

Existe-t-il un militantisme écologique sur Internet, et si oui, quelles en sont les caractéristiques et ses contradictions?
Lectures académiques, réflexions en groupe, analyses de cas et entretiens furent au cœur de notre démarche, et voici les conclusions auxquelles elle nous a menées.


militants écologistes

I] Le web comme vecteur d’information, de mise à l’agenda de sujets minoritaires dans les médias traditionnels et d’interpellation des dirigeants politiques


Dans la perspective d’une intensification des moyens de communications au niveau mondial, le web est avant tout un moyen de relayer des informations, et ce notamment dans le cadre des luttes environnementales.
Ainsi, les sites d’information alternative qui se sont ainsi développés entretiennent une proximité à l’égard du journalisme traditionnel, mais avec une vocation explicitement militante. C’est par exemple le cas, en France, de Basta!, agence d’information sur les luttes environnementales et sociales, ou encore de groupes locaux de contre-information locale. Ces espaces collectifs permettent de rassembler et de diffuser une contre-expertise militante sur des thématiques souvent spécialisées et un ensemble de luttes minoritaires écartées de l’agenda médiatique traditionnel .
Il existe également des média alternatifs, comme par exemple « Reporterre », un quotidien écologiste permettant de mettre en lumière plusieurs problèmes liés au réchauffement climatique : la santé, les catastrophes naturelles mais aussi de mettre en avant les réactions sociales qui en découlent dans le monde estudiantin, politique ou ouvrier. Certaines associations sont aussi investies dans ce travail d’information, comme Eco-Habitons basée à Paris qui travaille à vulgariser les idées souvent complexes de la recherche sur les sujets environnementaux afin qu’elles soient appréhendées et comprises par un maximum de personnes. La jeune association a notamment travaillé sur l'habitat, l’intersectionnalité et l’alimentation.

Alors que le militantisme a pendant longtemps été limité pour les individus, dépendants des structures portant leurs voix telles que les syndicats ou les associations traditionnelles, la participation citoyenne élargie permise par le Web donne des armes nouvelles aux individus, pouvant s’exprimer directement. Elle ouvre alors par la même occasion des espaces de visibilité nouveaux pour des thématiques qui ne trouvaient pas leur place dans l’agenda des médias traditionnels. On peut penser par exemple aux multiples négociations internationales lors des différents sommets dédiés au réchauffement climatique, très peu médiatisés en dehors des COP annuelles et qui sont pourtant primordiaux pour faire avancer la lutte écologique, mais aussi aux catastrophes environnementales dans des pays du Sud, peu renseignées par les chaînes télévisées par exemple. Cette mise à l’agenda de sujets minoritaires passe également par les individus eux-mêmes, qui grâce aux réseaux sociaux, contribuent à diffuser l’information. Ainsi, Pauline, 40 ans, mais aussi Bérénice, 22 ans et Valentine, 18 ans que nous avons toutes les trois interviewées affirment partager régulièrement des informations sur des problématiques écologiques via les réseaux sociaux aux personnes qui les suivent.

En outre, cette réactivité des internautes est également en oeuvre pour développer une vigilance et une critique permanente à l’égard du travail des médias, voire des actions des dirigeants politiques. Favorisée par l’utilisation des réseaux sociaux, qui mettent alors tous leurs utilisateurs au même niveau, ce phénomène est d’autant plus visible sur l’application Twitter. Utilisée par un grand nombre de décideurs politiques, les autres utilisateurs peuvent alors aisément cibler et interpeller leurs dirigeants sur ces questions, réduisant largement l’écart entre monde politique et société civile. A cet égard, l'appel sur les réeaux sociaux à poser des questions concernant l’action climatique du gouvernement en place lancé par le Président Emmanuel Macron en est un exemple significatif.
En parallèle, ce type de pratique par les individus a eu, en retour, des effets sur le travail des journalistes en rehaussant certaines exigences ou en encourageant l’investigation, comme en témoigne aux États-Unis la naissance du site Pro-Publica qui se revendique comme porteur d’un « journalisme d’investigation à but non lucratif ». En France, le lancement de Mediapart, en mars 2008, relève de la même dynamique. Ce journal d’information de professionnels de l’enquête journalistique combine les fonctionnalités des journaux en ligne traditionnels avec des outils communautaires collaboratifs. Il invite ainsi le lecteur-adhérent à commenter, à échanger et à rédiger, celui-ci devenant ainsi co-auteur et coproducteur de l’information. Mediapart a su développer un modèle économique rare sur le Web, avec un financement par abonnements (près de 73 000 en 2013), pour garantir son indépendance à l’égard du marché publicitaire et devenir un des principaux lieux de critique médiatique du pouvoir. En de nombreuses occasions, le journal en ligne dirigé par Edwy Plenel va révéler des affaires importantes, parfois sans susciter de reprise de la part des autres médias professionnels. Ce fut le cas en septembre 2020 concernant l’affaire de rejets polluants dans la Seine à Paris par l’entreprise de cimenterie Lafarge par exemple. Exerçant une surveillance à la fois sur le champ du pouvoir et sur les médias dominants, Médiapart prolonge ainsi sur le Web, et dans un cadre professionnel, la logique de la critique contre-hégémonique.
Néanmoins, comme tout outil, ces nouveaux modes de communications et ces nouvelles pratiques possèdent leurs limites. La première réside en la nécessaire prudence quant à la neutralité journalistique, par définition biaisée chez ces médias militants. Il convient donc de faire preuve d’esprit critique, bien que leurs sources restent dans la plupart des cas transparentes et fiables. Par ailleurs, cette démocratisation de l’accès à l’information donne également la parole à des groupes climatosceptiques. Dans une étude signée Nature Communications, des chercheurs ont analysé 100.000 articles de la presse papier ou internet publiés entre 2000 et 2016. Leurs conclusions sont assez bien définies par leurs mots :"Nous avons découvert que la visibilité des négateurs du climat a été 49% plus importante que celle du changement climatique". Il semble donc que le pouvoir d’Internet soit à double tranchant, pouvant déclencher des convictions très fortes mais pas toujours dans l’intérêt de la lutte écologique. On peut, à cet effet, évoquer le climato scepticisme mais aussi la radicalisation sur internet qui, via les groupes privés, les plateformes de discussions et la mise en ligne de contenu conspirationniste peut manipuler des populations.

II- Le web comme outil de communication/d’organisation saisi par structures militantes existantes

Pour les structures associatives en matière de climat et d’environnement, le numérique est devenu plus qu’une simple plateforme de communication. Il constitue un véritable outil organisationnel qui leur permet de recruter facilement des bénévoles, de diffuser des campagnes ou de lever des fonds en créant des cagnottes en ligne par exemple. Cela permet surtout d’organiser facilement et rapidement les actions et événements qui prendront place physiquement. On peut citer par exemple, le mouvement “Youth for climate”, qui coordonne des manifestations de jeunes préoccupés par l’enjeu écologique dans toute la France.
En entretien, Bérénice, 22 ans, parle de son engagement associatif écologique et développe ainsi le fait qu’Internet, en particulier les réseaux sociaux tels que Facebook et Instagram, mais aussi les Newsletter permettent de mobiliser et communiquer à grande échelle. Elle mentionne aussi l’utilisation de Messenger, Google Sheets ou Google Forms pour s’organiser en interne au sein du groupe associatif.

Par ailleurs, les structures militantes et associations environnementales sont amenées à donner de plus en plus d’importance à leur réseaux sociaux et leurs sites web. En effet, la cause écologique étant toujours assez méprisée dans l’opinion publique (35 % des français pensent que les menaces qui pèsent sur notre santé sont exagérées), les structures ont donc de facto besoin d’être crédibles auprès d’un plus grand nombre en ayant la vitrine la plus professionnelle possible. Cet aspect, combiné à celui d’une meilleure accessibilité grâce aux réseaux sociaux, leur permet par la même occasion d’attirer davantage d’adhérents.
Des outils sont également à leur disposition pour renforcer la participation et la mobilisation de leurs adhérents et de ceux qui pourraient le devenir. Les plateformes de dons ou celles de pétitions en ligne telles que Change.org en sont des exemples. Ces pétitions en ligne sont par ailleurs un autre moyen numérique d’attirer l’attention du politique sur certains sujets. Ainsi, la pétition de l’Affaire du siècle a été signée par plus de 2 millions de Français en 2018. Pauline, évoque en deuxième place les pétitions quand on lui demande si elle milite sur Internet :
“Après ce que je fais sur Internet, je signe des pétitions, je euh, je regarde plein de truc, tu vois pour moi c’est plutôt une source d’information et d’action, parfois, quand tu signes un truc.”
Enfin, nouvelle tendance qui a émergé ces derniers temps : les applications créées par chacune de ces organisations elles-mêmes . Par exemple, 1 déchet Par Jour, une association Marseillaise créée en 2016 a créé une application afin d’aider des commerçants de la cité phocéenne à trier leurs déchets et à les compter pour évaluer leur impact environnemental. L’association organise également la collecte de ces déchets, une tâche normalement attribuée à la métropole qui peine à y parvenir.


Pour autant, se pose la question de la légitimité à utiliser les outils numériques, très polluants car nécessitant une grande quantité d’énergie, alors que le combat réside précisément dans la lutte contre le réchauffement climatique, passant en l'occurrence par une réduction de notre hyper-consommation d'énergie. Selon les données fournies par Greenpeace dans son rapport Clicking Clean en 2017, l’empreinte carbone produite par l’utilisation des plateformes numériques est tellement importante que « si Internet était un pays, il serait le sixième plus polluant au monde », en raison du grand nombre d’activités réalisées sur le web et de l’impact de chacune d’entre elles sur l’environnement.
Ainsi la consommation énergétique globale du secteur numérique était estimée à 3.000 TWh en 2017 par le Shift Project avec un doublement attendu pour 2025. Une consommation qui serait à l'origine de 3,4 % des émissions de gaz à effet de serre, soit plus que le transport aérien, et devrait passer à 7,6 % à l'horizon 2025. Au cours de nos entretiens, la plupart des répondants ont mentionné la pollution numérique. Christelle, 50 ans, dit qu’Internet est «surtout pollueur car c’est un gros consommateur d’énergie». Mais malgré cette conscience de la pollution causée par Internet, les interviewés ne disent pas forcément adapter leur comportement. Pauline déclare :
“après j’utilise beaucoup internet donc d’un point de vue, usage, euh… parce que je crois qu’Internet c’est hyper mauvais pour l’environnement avec les serveurs etc [...] je me dis jamais euh, tiens, je vais pas faire ça sur Internet parce que c’est pas bon pour l’environnement tu vois.”
De même, Bérénice, investie dans l’association écologique de son campus et consciente de l’impact environnemental d’Internet, dit que malgré tout, la communication de leur association se fait sur des réseaux sociaux. Un tel choix peut être expliqué par la réelle opportunité de visibilité qu’offre Internet, alors évaluée comme supérieure à son coût écologique.
Finalement, il semble que certains services numériques eux-mêmes aient pris conscience de la pollution engendrée par ce secteur et cherchent ainsi à réduire leur empreinte carbone. Ainsi, le moteur de recherche Ecosia a pris le parti d’afficher une communication résolument verte, affirmant utiliser une part signifiante de ses bénéfices pour financer la reforestation dans les zones les plus touchées par ce besoin. Il convient tout du moins de rester vigilant quant à ce type de pratique, certes novateur et porteur d’espoir, mais qui est aussi susceptible de dériver de façon plus globale vers des pratiques de greenwashing.


III] Le web comme outil de sensibilisation citoyenne élargi

Le web constitue donc un espace où chacun a sa place. De fait, il est intéressant ici de voir comment les idées et les mobilisations sur le sujet de la lutte écologique se transmettent et s’agrègent. Certains individus, sans avoir le statut d’« experts » que pourraient avoir des scientifiques au sujet des questions environnementales, se saisissent de leurs propres réseaux sociaux pour alerter leur communauté sur le sujet. Nous nous intéressons ici aux individus qui s’expriment en leur nom propre et non pour une institution, et qui dédient en majeure partie voire en totalité la communication de leurs réseaux sociaux personnels sur les thématiques de préservation de l’environnement et de l’urgence climatique. Le concept de “leader d’opinion” de Lazarsfeld (diverses études telles The people’s choice, Personal Influence, Voting qui datent des années 1940-1950) semble ainsi pertinent pour identifier des individus capables d’influencer la sphère dans laquelle ils évoluent par leur notoriété ou leur activité.
Ainsi, les individus sont influencés par des proches de leur entourage, qui se comportent alors comme des leaders d’opinions et deviennent des points de références pour les autres dans la construction de leur propre opinion. Ainsi, au cours de nos entretiens, Lindon, 18 ans, déclare par exemple accorder plus d’importance à l’écologie car sa petite amie a de l’intérêt pour le sujet. A l’heure des réseaux sociaux, le critère géographique de proximité n’existe plus en tant que nécessité pour le processus d’influence, les internautes distants pouvant nouer des liens forts au sein de l’espace virtuel. Ainsi les leaders d’opinion ne sont plus seulement des individus que l’on côtoie physiquement dans un entourage proche. Ces figures peuvent s’incarner à travers des internautes actifs sur les réseaux sociaux qui entretiennent des relations de proximité avec leurs followers, soit leurs abonnés. C’est par exemple le cas de Camille Etienne, jeune activiste écologiste sur Instagram sous le pseudonyme de @graine_de_possible. Elle est ainsi suivie par plus de 181 000 personnes, dont Pauline, qui déclare apprécier sa parole mesurée et juste.
“tu vois je trouve que Camille Etienne pour ça elle a une façon de parler des choses qui est vachement bien, tu vois c’est pas dogmatique, c’est pas trop politique. [...] Elle va pas juger les gens en fonction de leur couleur politique, [...] elle va juste juger les actes, elle va juste parler des faits”
Les leaders d’opinion ayant émergés sur les réseaux sociaux acquièrent ensuite de la visibilité sur d’autres supports comme la télévision, participant à toucher un public large. Ainsi c’est le cas du journaliste militant Hugo Clément, dont Christelle, 50 ans mais aussi Bérénice, 22 ans, déclarent regarder les documentaires.
D’autres individus disposant d’une visibilité encore plus importante, tels que Greta Thunberg (14,6 millions de followers sur Instagram) collectent des informations sur le sujet de l’écologie et les diffusent auprès de leurs abonnés de façon régulière. Leurs réseaux sociaux dédiés à ce sujet rappellent la théorie de Lazarsfeld selon laquelle un individu éprouvant un fort intérêt pour un sujet donné devient alors un très bon connaisseur, puis leader d’opinion sur ce sujet auprès des personnes qui lui sont proches. Les leaders d’opinion sur les questions environnementales qui militent et informent leur communauté sur les réseaux sociaux sont donc des acteurs aujourd’hui très puissants car influents. Ils concurrencent ainsi massivement les acteurs plus traditionnels dans la diffusion de l’information auprès des publics, puisqu'ils sont capables de cultiver une certaine proximité avec les individus qui les suivent au quotidien.
Pour autant, ces personnalités ne font pas toujours l’unanimité, Valentine, 18 ans, les considère par exemple, comme trop coupées des réalités socio-économiques, ne montrant l’écologie que sous le prisme de la consommation responsable chère.


Aujourd’hui selon une étude intitulée « Les jeunes et l’information », réalisée pour le Ministère de la Culture en juillet 2018, 71% des jeunes s’informent d’abord sur les réseaux sociaux contre 49% par les journaux télévisés et 29% par la presse quotidienne papier ou en ligne. Les figures de leaders d’opinion sont particulièrement efficaces lorsqu’il s’agit de recruter des militants jeunes, plus réceptifs à leur communication et également plus actifs sur les réseaux sociaux. Mais nos entretiens nous montrent que les réseaux permettent de toucher un public bien plus important que juste la jeunesse, puisque toutes les personnes interrogées, âgées de 18 à 50, les évoquent comme un moyen d’information sur l’écologie. Cependant, certains d’entre eux, comme Pauline, 40 ans, regrettent leur aspect parfois polémique. Selon elle, les réseaux sociaux ne permettent pas de nuancer, de discuter certains sujets d’écologie politique qui sont alors caricaturés et décriés.
“les trucs trop politiques, sur les réseaux sociaux parfois c’est mal interprété, en fait je trouve ça dangereux. je me dis, c’est important de pouvoir en parler de ça, tu vois? Les réseaux sociaux, c’est bien mais en fait y’a plein de moments où tu vois qu’une partie de l’iceberg, et en fait tu peux pas en parler, tu peux pas expliquer vraiment ce que t’en penses, et c’est dangereux, tu vois?”
Malgré une potentielle polarisation des idées sur Internet, limite intrinsèque d’un outil de participation globale, accéder à Internet permet tout de même des nouveaux types de mobilisation, différents de ceux des organisations plus traditionnelles. Ainsi, les réseaux sociaux permettent de constituer de larges communautés fortes par le nombre, dont la participation en ligne permet de construire ce sentiment d’appartenance nécessaire à toute action collective . Ils constituent également des réseaux de recrutement latent, prêts à être activés à tout instant lors de mouvements de mobilisation collective ponctuels, lors de manifestations ou d’actions de désobéissance civile par exemple. Il existe donc une vertu mobilisatrice importante, les militants pouvant attester de façon concrète la présence d’autres individus motivés par les mêmes objectifs à travers le nombre d’abonnés d’un leader d’opinion ou le nombre de participants à un événement. Cela permet aux militants de ne pas se sentir isolés mais au contraire de faire partie d’un tout. Il s’agit aussi d’un sentiment ressenti par Pauline : “un effet de masse qui est efficace”.Ainsi, pour paraphraser Dominique Cardon, Internet parvient à “produire des solidarités” dans un contexte d’individualisation expressive.
Finalement, il est important de souligner que les actions militantes en ligne présentent l’avantage d’étendre l’engagement dans des zones plus isolées. Ainsi, une étude sur les pétitions en ligne sur Change.org démontre une évolution dans la géographie des pétitionnaires, ces derniers étant de mieux en mieux répartis sur tout le territoire français, malgré une concentration qui dure dans les pôles urbains. Depuis les débuts de la plateforme en 2012, le profil des pétitionnaires d’abord relevant de personnes très militantes, s’est diversifié avec de plus en plus d’individus ne se revendiquant pas comme appartenant à un groupe. Grâce à ces pétitions très accessibles, ces personnes entrent en contact avec le monde du militantisme.

Force est de constater que le militantisme ne relève aujourd’hui pas exclusivement d’actions sur internet. Pour être véritablement efficace, le militantisme suppose une superposition et une complémentarité des différentes formes d’engagement. L’engagement sur les réseaux sociaux peut ainsi être considéré comme une des premières étapes vers un engagement militant plus long en ce qu’il aide à se rendre compte qu’une action à son échelle est possible.
Néanmoins, il semble cependant que cette mobilisation sur le web ne se transforme pas nécessairement en militantisme sur le terrain. En effet la mobilisation en ligne permet un élargissement du recrutement des profils des militants notamment chez les jeunes mais les militants qui s’engagent par la suite sur le terrain relèvent de prédispositions sociologiques à la militance politique. Effectivement, Internet est susceptible de produire une forme d'activisme individualisé. C’est ce que veut signifier Jacques Ion en écrivant sur la tendance actuelle à l'émiettement du « nous » dans les nouvelles formes d'engagement. Internet et les réseaux sociaux offrent en effet une gamme de possibilités de participation ou de soutien à une action, à une organisation sans adhérer fortement, ce que le sociologue appelle le militantisme « post-it », celui de la tâche ponctuelle, sans réel engagement dans le temps. Les militants d’Internet en ont cependant pour certains conscience, même s’ils ne connaissent pas l'appellation théorique du militantisme “post-it”, comme Pauline, qui cherche ses mots, et interroge par ses tentatives de nomination l’efficacité des ce type d’action :
“je participe à des actions via Internet, tu vois? Et ça c’est une forme de militantisme si on veut mais pour moi ça c’est pas du militantisme très euh, très concret, très… très “violent” entre guillemet, très fort, très…”
Evgeny Morozov, dans son livre “To save everything, click here” dénonce ainsi le « slacktivisme » qui selon lui est la version la plus passive de l’action militante. Pour lui, cet activisme « mou » ne fait que donner une bonne conscience à celui qui a l’impression de faire sa part des choses en cliquant sur un lien. Ce militantisme n’aurait aucun impact social ou politique. En effet, les personnes que nous avons interviewées, si elles témoignent d’efforts, reconnaissent pour beaucoup avoir du mal à passer certains caps. Ainsi, si sur une échelle de 1 à 10, Pauline se déclare concernée au niveau maximum, et considère qu’elle milite sur Internet. Malgré cela, et sa volonté de limiter son impact environnemental (consommation réduite de viande, acheter de seconde main pour ses enfants et réduire sa propre consommation de vêtements), elle admet néanmoins qu’il est encore compliqué pour elle de s’habiller de seconde main. Cependant, elle est consciente de ses limites et désireuse de s’améliorer.
De même, l’engagement des personnes interviewées, quand il existe, est souvent limité au numérique, et se concrétise peu par de réels engagements associatifs. Ainsi, Christelle, Valentine, Pauline et Bérénice déclarent toutes un engagement sur Internet, qui ne se traduit par engagement associatif que pour deux d’entre elles : Bérénice et Valentine. Et encore, leur engagement est facilité par les institutions auxquelles elles appartiennent, Bérénice étant engagée dans l’association écologique de son université et Valentine étant éco-lycéenne. Christelle, elle, sans être engagée dans des associations, contribuent à leur financement par des donations.


Enfin, il semblerait que les communautés sur les réseaux sociaux renforceraient des sociabilités préexistantes et seraient des ressources supplémentaires à ceux qui auraient déjà des “prédispositions à l’engagement politique”. A titre d’exemple, l’algorithme de Facebook mettrait en avant du contenu en fonction des centres d’intérêt d’un individu et de ses habitudes de navigation comme les pages consultées, les contenus aimés, les articles ou événements partagés et même à partir des informations présentes dans ses commentaires ou messages privés. Le contenu d’un fil d’actualité Facebook d’un individu aura donc une grande homogénéité en termes de contenus avec des sujets abordés et des points de vue peu divergents. Eli Pariser parle dans ce cas là de bulles de filtres.
Ainsi, les individus aux intérêts convergents se regroupent au sein de bulles communautaires où leurs newsfeeds se nourrissent des mêmes contenus, aux opinions politiques homogènes. Le recrutement des militants sur les réseaux sociaux est donc limité car il s’opère via ces “bulles de filtres”, empêchant ainsi tout élargissement à des publics moins sensibilisés.

Conclusion

En conclusion, le numérique s’érige à la fois comme un outil pour les militants existants, comme une plateforme d’information immense mais aussi comme un moyen d’intensifier l’influence que certaines personnes ou groupes peuvent avoir sur nous. Si d’un côté le Web est très utile pour militer sur Internet, nos conclusions s’avèrent vraies pour tout autre type de militantisme autre que celui de la lutte écologique. Pour autant, cette accélération des modes de communication peut se révéler aussi utile que contre-productive pour la cause écologique. En effet, sans se pencher sur la mesure de l’efficacité qui serait difficile à estimer, il existe de nombreuses limites à l’extension du militantisme écologiste sur Internet notamment par une émergence de théories complotistes, et d'un militantisme mou qui permet aux personnes de se dédouaner de toute responsabilité ou encore tout simplement le fait que le numérique soit un secteur extrêmement polluant.

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