Introduction
Selon l’INSEE, 94% des 15 - 29 ans ont un téléphone portable en 2021. Discussions entre amis, jeux, réseaux sociaux mais aussi météo, informations, banque… Tout y passe, le smartphone est devenu un objet à part entière pour cette génération. Mais, pourtant, alors que tout paraît plus simple, plus accessible, 36% seulement des 75 ans et plus ont un téléphone portable en 2021 selon la même étude de l’INSEE.
Cette différence, c’est la fracture numérique. Pour Elie Michel dans “Le fossé numérique. L’Internet, facteur de nouvelles inégalités ?”, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n°861, août 2001, p.32, c’est “une inégalité face aux possibilités d'accéder et de contribuer à l'information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC.” Elle se distingue par deux niveaux : celle d’accès (qui est la plus forte, la personne ne peut pas avoir accès à ces technologies) et celle d’usage (la personne ne sait pas ou peu utiliser ces technologies).
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, de plus en plus de choses se font en ligne et pas seulement de la paperasse. Qui n’a pas eu un groupe “Famille” sur WhatsApp où les générations se confondent, quel parent n’a pas envoyé des photos des enfants à la plage aux grands parents par message… Il est maintenant possible de déposer une pré-plainte en ligne, de gérer ses comptes bancaires depuis un portable, de déclarer ses impôts ou de faire une demande d’allocation avec une simple connexion internet. A-t-on conscience que des personnes qui ne maîtrisent pas ces outils ?
Cette incompréhension s’explique le plus souvent par la différence d’âge, c’est l’écart générationnel. Aujourd’hui, quatre, voire 5 générations se côtoient : les Vétérans (entre les deux guerres), les Boomers (de la Seconde Guerre mondiale jusque dans les années 60), la génération X (des années 60 aux années 80), la génération Y (des années 80 aux années 2000) et la génération Z (après les années 2000). Chaque génération possède ses propres caractéristiques liées notamment aux événements que les générations ont vécues.
Ce méli-mélo de tranches d’âge est la diversité générationnelle selon Cécile Dejoux et Heidi Wechtler. Pour les deux chercheuses, ce mélange est très positif pour la société, seulement, les Vétérans ou les Boomers ne sont pas nés avec Internet. C’est la génération X qui a découvert ça et la génération Y qui a évoluée en même temps que l’explosion du Web. Il y a donc un gap générationnel lié à leur usage au quotidien, aux apprentissages à ce sujet à l’école mais aussi avec les pairs. Il est donc plus normal de trouver une fracture numérique chez les personnes âgées.
Confrontées pendant notre stage civique ou avec de la famille à cette fracture numérique chez nos aînés, nous avons décidé de nous intéresser aux effets de cet isolement technologique sur l’exclusion sociale chez les personnes âgées.
Nous avons alors décidé d’aller au contact des ces personnes fragiles. Pour avoir accès à leurs ressentis, nous avons réalisé un questionnaire que nous avons rempli avec eux de vive voix ou imprimé afin que la fracture numérique ne les empêche d’y répondre. Six personnes agées de plus de 75 ans nous ont donc répondu afin que nous comprenions.
La diversité générationnelle
Cette incompréhension s’explique le plus souvent par la différence d’âge, c’est l’écart générationnel. Aujourd’hui, quatre, voire 5 générations se côtoient : les Vétérans (entre les deux guerres), les Boomers (de la Seconde Guerre mondiale jusque dans les années 60), la génération X (des années 60 aux années 80), la génération Y (des années 80 aux années 2000) et la génération Z (après les années 2000). Chaque génération possède ses propres caractéristiques liées notamment aux événements que les générations ont vécues.
Ce méli-mélo de tranches d’âge est la diversité générationnelle selon Cécile Dejoux et Heidi Wechtler. Pour les deux chercheuses, ce mélange est très positif pour la société seulement, les Vétérans ou les Boomers ne sont pas nés avec Internet. C’est la génération X qui a découvert ça et la génération Y qui a évoluée en même temps que l’explosion du Web. Il y a donc un gap générationnel lié à leur usage au quotidien, aux apprentissages à ce sujet à l’école mais aussi avec les pairs. Il est donc plus normal de trouver une fracture numérique chez les personnes âgées.
Confrontées pendant notre stage civique ou avec de la famille à cette fracture numérique chez nos aînés, nous avons décidé de nous intéresser aux effets de cet isolement technologique sur l’exclusion sociale chez les personnes âgées.
Nous avons alors décidé d’aller au contact des ces personnes fragiles. Pour avoir accès à leurs ressentis, nous avons réalisé un questionnaire que nous avons rempli avec eux de vive voix ou imprimé afin que la fracture numérique ne les empêche d’y répondre. 6 personnes agées de plus de 75 ans nous ont donc répondu afin que nous comprenions.
Approche théorique : la fracture numérique à deux degrés
Selon Alain Kiniyadou, chercheur en science de l’information et de la communication, la fracture numérique désigne « le fossé entre, d'une part, ceux qui utilisent les potentialités des technologies de l'information et de la communication (TIC) pour leur accomplissement personnel ou professionnel et, d'autre part, ceux qui ne sont pas en état de les exploiter faute de pouvoir y accéder par manque d’équipements ou d'un déficit de compétences ». Cette conceptualisation implique une approche bidimensionnelle de l'étude de la fracture numérique (géographique, économique ou intergénérationnelle).
- D'une part, nous sommes confrontés à la fracture numérique de premier degré, qui se caractérise par l’inégal accès aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Cette inégalité d’accès peut être dû à des raisons économiques (manque de ressources pour s'équiper), culturelles, générationnelles (beaucoup de personnes âgées ne voient pas l'intérêt de disposer d'outils numériques car elles ne savent pas les utiliser), ou techniques et géographiques (les "zones blanches", ces territoires non couverts par un réseau mobile, généralement des zones rurales).
- D’autre part, le fait d'avoir accès aux ressources et au matériel numériques n'implique pas nécessairement la capacité de les manipuler. Dans ce cas précis, nous parlerons d’une fracture numérique de second degré qui désigne l’incapacité à utiliser les NTIC en raison d'un manque de compétences ou de capacités. Cette deuxième dimension de la fracture numérique s'articule autour de trois piliers de compétences : les compétences instrumentales (capacité à utiliser le matériel et les logiciels, à résoudre les problèmes techniques courants), les compétences informationnelles (capacité à rechercher, puis à sélectionner, à comprendre et à traiter l'information pour gérer les différents usages de l'internet) et les compétences stratégiques (capacité à anticiper et à utiliser l'information dans sa propre vie).
Approche empirique de l’hétérogénéité des usages chez les seniors.
Dans notre enquête, environ 80% des seniors interrogés ont accès aux NTIC, ce qui est un résultat beaucoup plus optimiste que les chiffres annoncés par le Centre Supérieur de l’ Audiovisuel (CSA), qui estime que 53% des personnes de plus de 80 ans n'ont pas accès aux NTIC. Il est clair qu'il ne serait pas pertinent de considérer les seniors comme un groupe social homogène à usages et compétences uniformes. En effet, au sein des groupes de seniors, il subsiste d'autres formes d'inégalités qui peuvent éclairer la situation des seniors qui n'ont pas accès aux technologies numériques mais aussi de la discrimination des seniors qui sont équipés. L'étude réalisée par le CSA pour la Fondation des Petits Frères des Pauvres révèle qu'en matière d'accès et d'utilisation des NTIC, les plus pauvres et les plus âgés sont les plus discriminés :
- Critère du revenu : 60% des personnes actives de 60 ans ou plus gagnant moins de 1 000€ par mois n’ont pas accès à Internet.
- Critère de l’âge: C’est le cas pour 35 % des retraités et 53 % chez les 80 ans ou plus…
- Critère du genre : Un écart est également visible entre les hommes et les femmes de 60 ans et plus puisque 31% des femmes n’utilisent pas les NTIC contre 22% des hommes.
Ainsi, nous pouvons affirmer que « les inégalités liées à Internet ne sont pas révélatrices de nouvelles divisions sociales, elles sont l’expression dans le champ des technologies de l’information et de la communication d’inégalités sociales, économiques, géographiques et culturelles largement préexistantes à l’expansion d’internet » (Vendramin & Velenduc, 2002). Autrement dit, le principal vecteur de la fracture numérique repose sur l'âge, par exemple, en 2019, plus de 90% des 15-29 ans déclarent avoir accès aux NTIC, contre 52% des 60 ans ou plus (INSEE), mais le seul critère de l'âge n'est pas suffisant pour l'analyse de la fracture numérique intergénérationnelle, car les personnes âgées ne représentent pas un groupe social homogène. Ainsi, il ne suffit pas d'avoir accès aux NTIC pour être intégré à la transition numérique ; de nombreuses personnes âgées sont équipées et connectées mais ne disposent pas du savoir-faire, du capital culturel ou économique pour s'approprier ces nouvelles technologies.
La marginalisation des personnes âgées dans la transition numérique : l'exclusion numérique et sociale.
Malgré sa volonté d'être accessible à un large public, la transition numérique a entraîné l'émergence d'une nouvelle forme d'exclusion, notamment chez les personnes âgées. Par exemple, selon une étude réalisée par la Fondation des Petits frères des pauvres en 2018, environ 66% des plus de 85 ans n'utilisent jamais Internet, mais paradoxalement plus de la majorité des personnes interrogées considèrent que faciliter l'accès aux NTIC serait une mesure pour lutter contre la solitude et l'isolement. Ces chiffres ont été vérifiés par notre enquête puisque tous les interrogés ont conscience que leurs téléphones portables les rapprochent ou les rapprocheraient de leurs enfants ou petits-enfants. Les seniors se trouvent dans un processus où l'inévitable transition numérique les fait passer de la zone d'intégration à la zone d'exclusion (Robert Castel 1995) en raison de la difficulté d'accès aux NTIC d'une part et du manque de connaissances sur ces nouvelles technologies d'autre part. Notre enquête nous a permis de comprendre que tant l'utilité de la technologie que l'incapacité à la maîtriser peuvent entraîner un sentiment d'accablement, voire d'exclusion, notamment en raison de la complexité de la technologie, exacerbée par des interfaces trop complexes qui ne tiennent pas compte des problèmes cognitifs potentiels des utilisateurs et des instructions parfois inexistantes. En d'autres termes, les seniors sont dans une situation d '`` e-exclusion ", c'est-à-dire d'exclusion numérique qui les met en marge de la transition numérique, conséquence directe de la fracture numérique. Cette e-exclusion, qui désengage à première vue les seniors de la transition numérique, a également pour effet négatif une exclusion sociale caractérisée par une détérioration des liens sociaux et une situation d'instabilité. En conséquence, la société s'est divisée en deux groupes : d'une part, la génération des digital natives, née entre les années 1980 et 2000, qui a adopté la technologie avec ses avantages et ses inconvénients, et d'autre part, une génération plus âgée, la génération des immigrés numériques, née entre les années 1950 et 1970, qui a été laissée pour compte par manque de connaissances. Les seniors habitués aux objets dits “analogiques” (Dominique Charton) comme le téléphone fixe sont laissés pour compte par les digital natives familiers des objets dits numériques. Enfin, l'exclusion est aussi sociale, car la numérisation entraîne une modification des relations et des liens sociaux, et les seniors se sentent dépassés par cette situation.
Comme nous l’avons vu, exclusion numérique et exclusion sociale s’imbriquent dans un cercle vicieux : l’exclusion sociale, régulièrement accentuée chez les personnes âgées par de faibles capitaux économiques et culturels, entraîne l’exclusion numérique car l’individu n’a personne pour lui apprendre l’usage des nouvelles technologies et en voit moins l’utilité, et cette exclusion numérique vient renforcer l’exclusion sociale car elle empêche le maintien ou la création de nombreux liens sociaux pour l’individu. Aujourd’hui en France, 3,6 millions de personnes de plus de 60 ans n’ont pas accès au numérique. Ainsi les « silver surfers » (terme présents notamment dans les médias anglo-saxons), des seniors actifs et efficaces au contact des outils numériques, ne sont en réalité qu’une image idyllique, elle ne représente que les personnes âgées les plus intégrées socialement car bénéficiant de ressources économiques, sociales et culturelles. Pour les personnes âgées les plus précaires et souffrant déjà d’exclusion sociale, l’expansion du numérique à l’ensemble de notre société est un coup de grâce à leurs faibles liens sociaux : l’hyper-individualisme découlant des outils numériques (chacun est seul face à son écran, les démarches du quotidien qui impliquaient autrefois un contact humain sont de plus en plus numérisées…) vient encore davantage renforcer leur exclusion sociale. Etant donné qu’exclusions numérique et sociale sont deux phénomènes imbriqués, étudier les conséquence de l’une amène à étudier celles de l’autre et inversement.
La conséquence principale de ces exclusions découlant de la fracture numérique résume l’ensemble de ses effets : il s’agit de la démobilisation. Cette démobilisation prend trois formes.
Une démobilisation personnelle
Il y a en premier lieu la démobilisation personnelle : les personnes âgées se sentent comme des incapables dans une société qui tourne autour d’un outil numérique qu’ils ne maîtrisent pas. 100% des seniors interrogés dans le cadre de notre micro-enquête se sont déjà sentis perdus, dépassés par le numérique. Cela engrange une forte perte de confiance en soi, et une forme de honte sociale : ainsi certains de nos interrogés déclarent « je me sens un peu à la ramasse, on dirait un autre univers », « j’étais gêné de demander de l’aide », révélant combien ce décalage les impacte et les place malgré eux dans une situation d’infériorité par rapport à ceux maîtrisant ces outils. Cette perte de confiance en soi peut également aggraver l’isolement car la personne possède une estime d’elle-même amoindrie. Or l’isolement a de graves conséquences tant sur la santé physique que mentale des personnes âgées. D'un point de vue physique, d’après le Conseil national des aînés, le stress chronique, la perte d'appétit, la dégradation du sommeil que provoquent cet isolement attaquent leur système immunitaire : les personnes vivant seules courent de 4 à 5 fois plus de risques de se faire hospitaliser, l’isolement est aussi dangereux pour la santé que l’obésité, l’alcoolisme et le tabagisme. Mais l'isolement agit aussi particulièrement sur la santé mentale des personnes âgées, elles sont nombreuses à souffrir de dépression, elles se laissent glisser vers la mort , et l'on peut faire le triste constat que le taux de suicide chez les plus de 65 ans est extrêmement élevé : ils représentent 30% des suicides, ce qui fait d'eux la tranche de la population la plus exposée à ce type de décès. Emile Durkheim, dans son essai majeur Le Suicide, évoque le
suicide anomique , un geste qu'amène une rupture d'équilibre dans l'ordre social qui rythmait la vie de l'individu : cela explique malheureusement le fort risque de suicide chez les personnes âgées isolées, qui avec la retraite, l'âge, l’exclusion numérique, perdent leurs liens sociaux et les repères de leur vie passée, et se confrontent à une rupture sociale. En outre, la fracture numérique est d’autant plus inquiétante pour les seniors qu’elle est un phénomène dynamique, les technologies étant en constante évolution : les personnes âgées étant par définition moins souples que les plus jeunes générations et étant moins prompts à acquérir des apprentissages radicalement nouveaux, le basculement dans la fracture numérique peut être progressif à mesure que les usages évoluent (un senior peut posséder des connaissances numériques « de base » qui deviennent néanmoins obsolètes ou insuffisantes face à la numérisation croissante de notre société demandant des compétences de plus en plus complexes, il bascule alors de l’autre côté de la fracture numérique).
Une démobilisation administrative
En second lieu, il y existe aussi une forme de démobilisation quant aux démarches administratives permettant aux personnes âgées isolées d’accéder à leurs droits. En effet, le facteur aggravant de la fracture numérique que constitue la constante numérisation de notre société, et notamment de son administration, représente une entrave à l’autonomie et aux libertés individuelles des victimes de cette fracture, les mettant encore davantage en marge de la société en les empêchant d’être à jour d’un point de vue administratif et de faire valoir leurs droits. De fait, les administrations publiques ont tendance à considérer les nouvelles technologies comme des potentialités d’efficacité accrue, des améliorations quotidiennes dans la réalisation des tâches administratives pour les usagers : or les personnes âgées (notamment les moins aisées et les plus socialement exclues car elles n’ont pas de proches pour les aider dans leurs démarches face à la montagne de formulaires numériques) sont laissées pour compte dans le processus. Quand bien même le senior parvient à accéder au site lui permettant d’effectuer les tâches administratives, de nombreux sites web ne tiennent pas compte des problèmes liés à la vision (petites polices de caractère), la motricité (nécessaire utilisation complexe de la souris pour surfer sur le site), la cognition (sites incluant des propos en langues étrangères moins maîtrisées par nos aînés) ralenties des personnes âgées. Il est attendu d’elles qu’elles s’adaptent à ce nouveau fonctionnement, non seulement en acquérant un savoir-faire à travers la maîtrise des outils informatiques, mais aussi et surtout un savoir-être, en devenant autonomes et actifs : ils se doivent d’adopter à marche forcée une nouvelle réalité numérique sous peine de devenir socialement inadaptés, stigmatisés. L’une de nos personnes interrogées déclare ainsi «
l’autre jour on m’a dit que j’avais le droit à une alloc’ [allocation], mais je ne savais pas comment faire et on m’a dit qu’il fallait un ordinateur, alors j’étais embêtée ! (…) Je comprends pas trop pourquoi maintenant on fait tout comme ça, avec les ordinateurs, on dit tant pis pour les vieux ! ». Les personnes âgées socialement isolées sont, en tant qu’individus fragiles, l’un des publics principaux auxquels s’adressent les services publics et paradoxalement, du fait de la fracture numérique, ce sont elles qui perdent le plus contact avec eux.
Une démobilisation citoyenne
Enfin il existe également une démobilisation citoyenne au quotidien des personnes âgées victimes de fracture numérique : l’engagement citoyen et associatif, fort vecteur de lien social, passe de plus en plus par des canaux digitaux pour s’organiser, et il est complexe de se tenir informé quant aux différents projets et actions en étant complètement déconnecté, ce qui aggrave encore une fois davantage l’isolement social. Ainsi l’un des interrogés dans le cadre de notre enquête témoigne « L’autre fois je voulais m’inscrire à un truc de randonnée, j’avais décidé de sortir un peu, c’est pas facile d’être seul tout le temps, ça pèse (…). On m’a dit qu’il fallait utiliser l’ordinateur pour mettre mon nom sur la liste, j’en ai un, (…) mais je ne m’en sers jamais parce qu’il y a toujours un truc qui marche pas. J’ai jamais réussi à mettre mon nom sur cette liste alors j’ai laissé tomber la randonnée. (…) ». Plus de la moitié de nos interrogés ont reconnu avoir renoncé à une activité suite à une difficulté liée au numérique. L’isolement social qu’aggrave le numérique peut atteindre des extrêmes, puisque en France 530 000 personnes de 60 ans et plus sont même en situation de mort sociale, ce qui signifie qu’elles ne voient jamais ou quasiment jamais personne et qu’elles sont donc coupées de tout lien social.
L’exclusion numérique aggravant l’exclusion sociale des personnes âgées est donc actuellement un enjeu central. Quelles sont alors les solutions possibles, comment remettre l’inclusion numérique au cœur de notre société vieillissante ?
En premier lieu, l’Etat est évidemment un acteur central de la lutte contre l’exclusion numérique et sociale de nos aînés. Plusieurs solutions sont envisageables à l’échelle des pouvoirs publics. Tout d’abord il faudrait commencer par combler la fracture numérique de premier degré en réduisant les inégalités d’accès territoriales à travers une politique axée sur la suppression de toute zone blanche sur le territoire national, c’est-à-dire des zones géographique (le plus souvent rurales) n’étant pas desservies par le réseau d’Internet mobile, l’ADSL ou la fibre optique. Il est aussi envisageable d’inciter les opérateurs à proposer un tarif social concernant l’abonnement à la connexion, afin que les personnes âgées les plus précaires ne soient pas coupées du numérique pour des raisons économiques. Il peut également être possible d’inciter les entreprises à reconditionner le matériel dont elles n’ont plus l’usage afin d’en faire don à ceux souffrant d’exclusion numérique. L’Etat a aussi un rôle à jouer en terme de numérisation des démarches administratives, il est essentiel de mettre fin à la complexité de l’e-administration et des sites de service, ainsi que de garantir que des espaces où les personnes âgés peuvent effectuer physiquement les formalités administratives perdurent partout sur le territoire national. Il est nécessaire que subsistent des services d’assistance de proximité adaptés et gratuits, avec un contact humain. L’Etat a également un rôle à jouer quant au regard que les plus jeunes portent sur les personnes âgées afin de mobiliser la population à l’égard de la lutte contre l’exclusion de nos aînés, cela passe par l’éducation et peut se faire par le canal scolaire (d’autant plus que la solidarité intergénérationnelle est essentielle pour nos aînés) : il faut faire comprendre à la jeunesse que vieillir ne signifie pas devenir inapte ou incapable de s’intéresser à la technologie, et qu’il est possible de former les seniors au numérique pour rompre leur exclusion. Il est aussi nécessaire que les pouvoirs publics fassent en sorte de préserver la participation citoyenne des personnes âgées exclues du numérique en leur permettant de faire entendre leur voix sur des sujets de société comme tout autre individu, ainsi que de renforcer le cadre juridique pour sécuriser les seniors subissant l’exclusion numérique et sociale.
On peut néanmoins se réjouir que l’Etat ait déjà mis en place une stratégie nationale visant à rendre le numérique plus inclusif en France, et en particulier pour les personnes âgées isolées. Ce plan s’appuie notamment sur le fait d’outiller et de former les ‘aidants numériques’, ceux qui tentent de rompre l’exclusion numérique des seniors, afin qu’ils aient les clefs nécessaires pour aider au mieux les personnes qu’ils accompagnent. Ce plan consiste également à une formation massive des personnes souffrant de la fracture numérique et à la mise en place de nouveaux lieux permettant cette formation : plus que d’un équipement, nombreux sont ceux ayant besoin d’une véritable formation pour savoir s’en servir. En effet, comme le révèle notre micro-enquête, parmi nos interrogés, 5 personnes sur 6 possèdent un accès Internet et des outils numériques, mais 6 personnes sur 6 se sont déjà sentis perdues et dépassées par le numérique, elles n’ont donc pas nécessairement besoin d’être équipées mais bien de savoir utiliser les outils numériques qu’elles possèdent déjà. L’Etat a également pour projet dans ce plan d’inclusion numérique de soutenir particulièrement les initiatives des collectivités territoriales : en effet, si l’ampleur d’un plan national est nécessaire pour lutter contre l’exclusion de nos aînés, dans leur quotidien, en pratique, c’est l’échelon local qui est le plus adéquat pour comprendre leurs difficultés, leurs besoins, et mettre en place des aides propres aux enjeux de chaque territoire. Par exemple, la plupart des collectivités, dans le cadre d’un dispositif national, ont mis en place des Espaces Publics Numériques (EPN) proposant à échelle locale des activités d’initiation au numérique, des ateliers collectifs ou des accompagnements plus individuels pour ceux souffrant de la fracture numérique. De nombreuses régions en France proposent également un Pass Numérique pour les personnes âgées de 60 ans et plus : il consiste en un carnet de 5 à 10 Pass, chacun permettant de payer un service de médiation numérique de proximité, de formation encadrée dans des lieux qualifiés. Cela permet ainsi de réduire l’exclusion numérique pour les personnes âgées les plus précaires n’ayant pas les moyens de financer des cours onéreux.
Au-delà des actions gouvernementales, on observe une forte mobilisation citoyenne luttant contre la fracture numérique chez nos aînés. Ces associations agissent sur deux plans à l’instar du gouvernement : l’accessibilité aux outils numériques ainsi que la formation à l’utilisation de ces outils. La maîtrise de tout un langage lié au numérique (que les personnes âgées n’ont pas appris instinctivement étant donné qu’elles ne sont pas nées ou n’ont pas grandi avec le numérique) est également enseignée aux seniors pour leur donner les clefs de compréhension nécessaire. Parmi les associations les plus célèbres on peut citer Emmaüs Connect, basée sur de la formation et de l’outillage ; ou encore les Petits Frères des Pauvres, qui dans un premier temps alertent et sensibilisent sur l’exclusion sociale et numérique des personnes âgées à travers un rapport annuel extrêmement complet, et dans un second temps proposent des formations ainsi que la création de liens intergénérationnels entre bénévoles et personnes accompagnées pour qu’elles ne souffrent plus de la démobilisation que crée en elle la fracture numérique.
Conclusion
Dans notre étude, nous nous sommes intéressés à la manière dont la fracture numérique intergénérationnelle se caractérise par l'exclusion sociale des personnes âgées.
En adoptant une approche théorique de la fracture numérique, nous avons pu déterminer les deux niveaux d'étude de la fracture numérique : d'une part, l'inégalité d'accès et d'autre part, l'inégalité d'usage. Cette approche théorique s'est accompagnée d'une approche empirique qui a retranscrit l'hétérogénéité des usages des TIC chez les seniors. En effet, partant du principe que le groupe des seniors n'est pas uniforme, nous avons observé que les inégalités sociales, économiques et culturelles se reflètent dans les enjeux du numérique. Ainsi, l'accès aux NTIC ne garantit pas à lui seul une véritable intégration dans la société numérique. Il est clair que les seniors se trouvent en marge de la société numérique, où leurs repères traditionnels ont été bouleversés, entraînant un sentiment d'exclusion.
Les effets directs de cette exclusion se déclinent en trois dimensions. Tout d'abord, une démobilisation personnelle des personnes âgées qui se sentent incapables dans une société qui tourne autour d'outils numériques qu'elles ne maîtrisent pas. Couplés à ce sentiment d'incapacité et d'accablement, l’isolement a un impact considérable sur la santé mentale des personnes âgées qui voient leur rythme de vie chamboulé en passant d'une zone d'intégration à une zone d'exclusion avec des liens sociaux faibles. Deuxièmement, la démobilisation peut aussi être administrative, car l'e-administration représente une double peine pour les personnes âgées, surtout pour celles qui ont des problèmes cognitifs, et elles sont confrontées à des interfaces complexes qui ne leur conviennent pas. Troisièmement, pour l'ensemble de nos répondants, l'incapacité à manier les outils numériques les conduit à renoncer à des activités d'insertion sociale. On peut alors parler de démobilisation citoyenne.
Afin de remédier à la fracture numérique, l'Etat joue un rôle central dans la mise en place de projets. Depuis quelques années, les politiques publiques se concentrent sur la résolution de la fracture numérique de premier degré, puis sur la formation à l'utilisation des outils numériques et des NTIC (fracture numérique de deuxième degré), comme en témoigne l'existence des Espaces Publics Numériques. Par ailleurs, le secteur associatif s'est également imposé comme un acteur majeur de la lutte contre la fracture numérique, par exemple Emmaüs Connect s'appuie sur la formation et les outils, la Fondation des Petits Frères des Pauvres se concentrant davantage sur la sensibilisation à l'exclusion sociale.
Pour ouvrire davantage notre étude :
Nous avons donc concentré notre travail sur les personnes âgées, et la fracture numérique liée à l’âge. Il pourrait cependant être également très intéressant de voir si aujourd’hui, le genre a aussi un impact sur l’utilisation des NTIC. Femmes et hommes sont-ils égaux dans le domaine ? Y-a-t-il également des inégalités frappantes ?